« Obama care » ou « Ma santé 2022 » : une finalité et cinq chantiers

Bien que les contextes culturels et économiques soient distincts, les réformes des systèmes de soins en cours aux Etats-Unis et ébauchées en France partagent un objectif primordial. Avant tout, assurer la prise en charge des malades vieillissants polypathologiques et chronicisés (ce que les collègues nord- américains appellent les high-need/high-cost patients (1)).

17 Mai 2016
Jean Michel CHABOT , Universitaire, PARIS

Bien que les contextes culturels et économiques soient distincts, les réformes des systèmes de soins en cours aux Etats-Unis et ébauchées en France partagent un objectif primordial. Avant tout, assurer la prise en charge des malades vieillissants polypathologiques et chronicisés (ce que les collègues nord- américains appellent les high-need/high-cost patients 1 ).

 

Ces malades, très minoritaires en nombre, représentent environ 5 % de la population, mais correspondent à près de deux tiers des dépenses de santé dans l’ensemble des pays développés.

 

L’objectif est donc de maintenir le plus longtemps possible ces patients dans leurs milieux de vie habituels, en accompagnant l’évolution et en prévenant autant que possible les complications, ce qui implique une organisation puissante des professionnels de santé et des travailleurs sociaux exerçant dans le secteur ambulatoire. C’est cette organisation, dans la durée, du suivi des malades, qui a conduit au terme de « parcours* » (initié en France dans un éclairant avis du HCAAM 2 , dès 2012).

 

De cet objectif principal, découlent une série de chantiers – en réalité des adaptations plus ou moins profondes (qui peuvent cependant constituer pour les uns ou les autres – selon leur positionnement dans le système de santé – des révolutions).

 

On peut ainsi identifier :

  1. L’avènement d’un mode d’exercice « regroupé/coordonné » sinon en équipe constituée, ce qui constitue une révolution copernicienne pour une large part des professionnels de l’ambulatoire attachés aux valeurs immémoriales d’autonomie et d’indépendance ; c’est cette révolution que le Président Macron a – audacieusement – encouragée le 18 septembre dernier en indiquant …. «je veux précisément que l’exercice isolé devienne progressivement marginal, devienne l’aberration et puisse disparaître à l’ horizon de 2022» …. Dans cet avènement, les innovations, qui pourront être conduites dès la formation initiale à la faculté et au cours des stages de l’ensemble des futurs professionnels, sont déterminantes. Le déploiement des différentes fonctionnalités de télésanté ou des objets connectés est également déterminant. Attention cependant à ne pas l’aborder comme un « sujet en soi » mais plutôt le traiter comme un puissant accélérateur des possibilités de coordination/coopération entre les acteurs (incluant les malades).
  1. La mise en œuvre effective d’un système d’information, alimenté et exploité en routine par les professionnels, médecins et professions associées, de manière à, pour l’essentiel, suivre l’évolution des malades, communiquer entre eux, partager des données ( à l’échelle d’un groupe ou avec des plateaux techniques ou des établissements, ce qui requiert une réelle interopérabilité) et produire les données nécessaires à l’approche épidémiologique d’une population, à la gestion du système par l’assurance maladie et de plus en plus  à l’information des patients ou à l’amélioration des stratégies et pratiques médicales (incluant les données en vie réelle des malades sous « protocoles »).
  2. La diversification des modes de rémunération des professionnels – sujet délicat, cependant défendable dès lors qu’il y a du « grain à moudre » et que le paiement à l’acte se trouve confirmé. Diversification au terme de laquelle, l’entité « équipe » doit apparaître comme destinataire d’un financement propre et ainsi se substituer dans un nombre circonscrit de situations aux individualités. Mais aussi diversification de manière à valoriser davantage la pertinence des soins selon des critères établis par les professionnels eux-mêmes et leur utilité selon des appréciations exprimées par les malades.
  3. Une action prolongée auprès de la population générale et des patients afin d’accroître, à leur convenance, leur degré d’autonomie et leur capacité de responsabilisation/implication ; ce qui constitue un préalable indispensable à la mise en œuvre d’une politique de prévention rénovée.
  4. Enfin, at last but not least, une adaptation de l’appareil hospitalier, qui a dû tout au long des dernières années pallier le déficit d’organisation et la disponibilité décroissante du secteur ambulatoire, mais qui peut désormais se recentrer progressivement sur les activités à forte valeur ajoutée propres aux établissements de santé et le cas échéant s’investir dans les « parcours » évoqués infra. C’est par exemple cette adaptation qui a été menée à bien aux Etats-Unis par la Veterans Administration au tout début des années 2000,  et c’est ce qui est visé en France par la future labellisation « Hôpital de proximité ».

 

En aval de ces chantiers, se développent toute une série d’applications nouvelles qui traduisent, illustrent et finalement donnent corps aux adaptations engagées. C’est par exemple le cas du «Physician Compare », un programme mené aux Etats-Unis par les Centers for Medicare and Medicaid (la structure fédérale qui, dans le cadre de l’Obama Care, correspond peu ou prou à l’assurance maladie chez nous). Ce Physician Compare avait été décidé en 2014 par la secrétaire d’Etat à la santé d’alors Sylvia Burwell ; il est accessible sur internet et est supposé fournir aux patients américains (et qu’ à l’ensemble des professionnels) des données traduisant la qualité des pratiques de chaque   praticien en activité … et ainsi influer sur le choix des uns et des autres.

 

Justement, une Research Letter faisant le bilan d’état de ce programme vient d’être publiée dans  JAMA internal medicine du 6 mai 2019.

 

Ce sont des universitaires d’Ann Arbor et de Chicago qui ont conduit l’étude. Pour cela, ils ont analysé un fichier regroupant les 1 023 552 professionnels prenant en charge des bénéficiaires de Medicare . Parmi ceux-ci, près de 400 000 n’étaient pas des Physicians mais d’autres professions, notamment nurses practitionner ou dentist ou clinical psychologist ou encore clinical social worker entre autres

 

L’organisation du Physician Compare dispose que ce sont les cliniciens eux-mêmes qui fournissent – volontairement – les données afin de caractériser leurs pratiques (même si une pénalité financière avait été évoquée en cas de carence…). L’analyse du fichier a révélé que plus de 238 000 physicians (un peu moins du quart de l’ensemble) avaient renseigné le registre. Pour cela, chaque médecin pouvait choisir dans l’un ou l’autre de 6 thèmes de qualité (coordination, santé communautaire, efficacité clinique, maîtrise de coûts, satisfaction des patients, et sécurité des patients) ; de plus les médecins pouvaient également choisir les patients dont les données (anonymisées) étaient issues. En moyenne deux de ces 6 thèmes étaient renseignés, à l’exception notable de la maîtrise des coûts).

 

Les auteurs tirent un constat plutôt désabusé de leur analyse : en l’état le programme Physician Compare ne permet pas de remplir la fonction de transparence et  choix éclairé  qui lui était initialement assignée. Ils appellent le gouvernement fédéral à une révision de leur stratégie. A suivre …

 

 

1 – Blumenthal D, Chernof B, Fulmer T. Caring for High-Need, High-Cost Patients – An Urgent Priority. N Engl J Med. 2016 Sep 8;375(10):909-11. doi: 10.1056/NEJMp1608511. Epub 2016 Jul 27.

2 – http://www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/l_avenir_de_l_assurance_maladie_les_options_du_hcaam.pdf

3 – https://www.medicare.gov/physiciancompare/

4 – Li J, Das A, Chen LM. Assessing the Quality of Public Reporting of US Physician Performance.

5 – JAMA Intern Med. 2019 May 6. doi: 10.1001/jamainternmed.2019.0398

 

*On peut ainsi lire à la page 16 de l’avis rendu public le 22 mars 2012 : …

L’attention portée à la qualité d’un « parcours » suppose de passer d’une médecine pensée comme une succession d’actes ponctuels et indépendants à une médecine qu’on peut appeler de « parcours ». C’est-à-dire une médecine – entendue plus largement que les actes des seuls médecins – dont l’objectif est d’atteindre, par une pratique plus coopérative entre professionnels et une participation plus active des personnes soignées, à une qualité d’ensemble, et dans la durée, de la prise en charge soignante.