Renouveler la Démocratie en santé
Philippe LEDUC pour le Blog du Think Tank Economie Santé
Chacun à leur manière, trois experts parlent de santé et en fait de Démocratie sanitaire. Faisant le pari que la connaissance et un meilleur partage des informations seront le ferment d’une meilleure santé. Car les marges de progrès, on le sait, sont grandes par l’implication de chacun pour sa propre santé et celle des autres. Le système de santé donne le sentiment de craquer de partout. Il s’agit là d’un immense défi aux conséquences non moins majeures. Le moment n’est-il pas venu de renouveler la Démocratie en santé.
Un nouveau monde pour la Santé publique
Laurent Chambaud, médecin de santé publique qui a été pendant dix ans le directeur de l’École des Hautes Études en santé publique (EHESP) ne propose rien de moins qu’un « nouveau monde » pour la Santé publique. En dix courts chapitres de « Santé publique. Un nouveau monde ? » (1), il s’attache de fait à « conjuguer démocratie et santé. » Et il y a fort à faire. C’est le moment, après la crise du Covid. Un exemple, les pouvoirs publics élaborent tous les cinq ans et maintenant tous les dix ans une « stratégie nationale de santé. » « Mais celle-ci n’imprime pas. » « Elle ne sert de référentiel à aucune politique publique et reste totalement ignorée par la population ». Tant d’efforts pour si peu. Justement la santé publique concerne par définition à la fois le collectif et l’individuel, d’où l’importance d’associer tous les acteurs, les professionnels, les patients, les usagers et aussi les élus. Sans oublier les partenaires sociaux historiques qui ne doivent pas « se recroqueviller sur leur action passée ». Sont aussi discutés : l’espérance de vie en bonne santé si loin de celle des Suédois, pourquoi notre système de santé est en crise, les nouvelles technologies, l’éthique, les inégalités de santé etc. Un petit livre en forme de manifeste, passionnant à lire et qui trace de nouvelles perspectives.
Parlons santé
Nous vivons 30 ans de plus qu’il y a un siècle. Ce progrès spectaculaire va-t-il se poursuivre ? Et à quelles conditions ? Les nuages s’amoncellent : pandémie, scandales sanitaires, inégalités persistantes, risques environnementaux, soutenabilité financière du système de santé, etc. Ils sont autant d’alertes. Dominique Polton dans « Parlons Santé » (2) cadre d’entrée de jeu les enjeux et donne les données pour participer au débat. La longévité est en progression constante : moins de 30 ans au milieu du XVIIIème siècle, 45 ans au début du XXème, 66 ans en 1950 et 82 ans aujourd’hui. Mais les gains en espérance de vie ralentissent voire reculent, en particulier aux États-Unis. Quelle est la part des progrès exceptionnels de la médecine et des soins et celle des autres facteurs comme les conditions de vie et de travail, les comportements et l’environnement alors que les inégalités de santé persistent interroge l’économiste de la santé. Les besoins augmentent, les progrès techniques accélèrent, ce qui conduit à une augmentation tendancielle des dépenses (financées en grande partie de façon collective) supérieures aux recettes. La dépense en santé bénéficie-t-elle d’une préférence sociale face aux autres dépenses : éducation, emploi, sécurité, défense, etc. ? Comment cette situation instable peut-elle encore durer ? En 30 questions Dominique Polton livre les éléments du débat, de la conception de la bonne santé à : « Dépense-t-on trop ou trop peu pour la santé ? » en passant par la crise du système de soins, « soignants : la grande démission ? », etc. Cet opuscule d’une centaine de pages, in fine, apportent aussi en creux des réponses. A lire avant de s’impliquer dans toute discussion si l’objectif est de sortir des sentiers battus.
L’ancien et le nouveau monde
C’est à un voyage dans le futur que nous convie Jean-Emmanuel Bibault (3), à partir de son expérience personnelle de chercheur en intelligence artificielle à Stanford en Californie et de médecin en oncologie radiothérapie à l’Hôpital européen Georges-Pompidou. Mêlant impressions personnelles et description rigoureuse, il explique au grand public et aussi à tous les soignants qui veulent mieux comprendre comment on va passer de l’ancien monde au nouveau, comment les techniques d’intelligence artificielle (IA) bouleversent la pratique de la médecine. « L’IA peut-être utilisée à chacune des étapes du parcours du patient afin d’accélérer sa prise en charge et d’en optimiser les résultats. » Elle concerne le dépistage, le diagnostic, la prédictivité, et la possibilité de guider la prise de décision thérapeutique. Les prouesses réelles et potentielles de l’IA sont décrites par le menu, même en psychiatrie. Un long chapitre est consacré aux perspectives, à la transformation du système de santé et aux risques et dérives potentiels. Mais attention, conclut-il : « nous devons veiller à ce que le développement de l’IA ne favorise pas une médecine à deux vitesses où seuls les patients les plus aisés pourront bénéficier des toutes dernières technologies »
Ces trois prises de position – le renouveau de la santé publique, la soutenabilité du système de santé impliquant la détermination de priorités et enfin les bouleversements qu’implique l’IA en santé – montrent bien les enjeux et défis actuels qui mériteraient de renouveler la Démocratie en santé.
1.Santé publique. Un nouveau monde ? Laurent Chambaud. 143 pages. 14€ Hygée Éditions
2.Parlons santé en 30 questions. Dominique Polton. 97 pages. 7,90€. Doc en poche. Entrez dans l’actu. La Documentation française
3).2041 : L’Odyssée de la médecine. Comment l’intelligence artificielle bouleverse la médecine. Jean-Emmanuel Bibault. 204 pages. 19€. Équateurs